Feuilles volantes découvertes insérées entre la première et la deuxième partie de Cendres : l’Histoire oubliée de la Bourgogne (Ratcliff, 2001), British Library.
Message n° 5
(Pierce Ratcliff)
Sujet : Cendres,
documents historiques
Date : 2/11/00 20 : 55
De : Longman@
Format, adresse et autres détails effacés et irrécupérables
Pierce –
Désolée de vous contacter en dehors des heures de travail, mais je dois *absolument* discuter avec vous de la traduction de ces documents.
J’ai gardé de très bons souvenirs d’avoir « fait » Cendres à l’école. Un des éléments que j’aime chez elle et qui transparaît fortement dans vos traductions de ces textes, c’est que c’est un vrai mec. À la base. Elle ne sait pas lire, elle ne sait pas écrire, mais bon sang, pour ce qui est de taper, elle s’y entend. Et ça ne l’empêche pas de posséder une personnalité complexe. J’adore cette bonne femme ! Je continue à penser qu’une traduction moderne de CENDRES, avec le nouveau document que vous avez découvert, est l’une des meilleures idées et une des plus commerciales qui me soient passées entre les mains depuis bien longtemps. Vous savez que je vous soutiens sur ce projet, dans les conférences éditoriales, alors que je n’ai pas encore été complètement briefée.
Toutefois. Ces sources…
Je peux admettre les erreurs de datation çà et là, et les légendes médiévales. Après tout, c’est ainsi que les gens percevaient leurs expériences. Et ce dont nous disposons ici, avec la nouvelle théorie de l’histoire européenne que vous envisagez, est vraiment formidable ! – mais c’est précisément pour cette raison que chaque déviation par rapport à l’Histoire officielle doit être soigneusement référencée. Tant que les légendes sont clairement signalées comme telles, nous avons un livre d’histoire épatant à donner à vendre aux représentants.
*Mais*…
*DES GOLEMS* ???!!!
Dans l’Europe médiévale ?!
Et après, ce sera quoi ? – des zombies, des morts vivants ?!! On est en plein délire !
AU SECOURS !
— Anna
Message n° 1
(Anna Longman)
Sujet : Cendres,
documents historiques
Date : 3/11/00 18 : 30
De : Ratcliff@
Format, adresse et autres détails effacés et irrécupérables
Anna –
Voilà ce qui arrive : on se fait relier à Internet, et ensuite, on oublie de relever son courrier électronique ! Je suis *vraiment* désolé de ne pas vous avoir répondu hier.
Sur le sujet des « golems ». Je suis ici la traduction de Charles Mallory Maximillian (avec un peu de FRAXINUS). Il les baptise en 1890 « marcheurs d’argile », très semblables au légendaire serviteur magique de la Cabale, tel qu’il apparaît dans la légende du rabbin de Prague. (Il faut nous souvenir que, lorsque Maximillian a composé sa traduction, l’ère victorienne était en proie aux délires fin de siècle d’une résurgence de l’occultisme.)
Vaughan Davies, dans sa traduction ultérieure, emploie, de façon assez regrettable, le mot « robots », une référence qui, à la fin des années trente, n’était pas aussi rebattue qu’elle en a l’air, de nos jours.
J’ai l’intention d’utiliser le terme de « golem » dans cette troisième édition, sauf si vous le jugez trop peu académique. Je comprends que vous souhaitiez voir ce livre atteindre un large public.
Quant à la nature véritable de ces « golems » ou « marcheurs », historiquement, je pense qu’il s’agit d’un amalgame médiéval de quelque chose d’indubitablement réel, et d’éléments légendaires. La réalité historique correspond à la science mécanique médiévale des Arabes.
Vous n’ignorez sans doute pas que, en plus de leurs ouvrages de génie civil, les civilisations arabes excellaient dans un genre de constructions de précision, fabriquant fontaines, horloges, automates et nombre d’autres mécanismes. Il est parfaitement établi qu’à l’époque d’Al Jazari, existaient déjà des trains complexes d’engrenages, de même que des engrenages à segments et à épicycles, des mouvements à poids, des échappements et des pompes. Les maquettes célestes et biologiques des Arabes étaient généralement hydrauliques et – bien évidemment – toujours stationnaires. Toutefois, le voyageur européen médiéval décrivait souvent les maquettes (figures d’hommes, de chevaux, d’oiseaux chanteurs, etc.) comme *mobiles*.
Mes recherches indiquent que la VIE de Del Guiz a fondu ces relations de voyageurs avec les contes juifs médiévaux du golem, l’homme d’argile. Il s’agissait d’un être magique qui n’avait aucune base dans la réalité, bien entendu.
S’il *avait* existé un « marcheur » ou un « serviteur » de quelque sorte que ce soit, on peut concevoir, j’imagine, qu’il s’agissait d’un *véhicule*, mû par le vent, comme les tours à bois sophistiqués de l’époque – mais, en ce cas, ils exigeraient des roues, des chaussées sophistiquées et un chauffeur humain, pour remplir ses fonctions d’engin de transport de messages, et ne pourrait exécuter aucune tâche à l’intérieur. Et vous pouvez dire, et vous aurez raison, que ce serait pousser les spéculations historiques trop loin, sans justification. On n’a jamais découvert d’engin de ce genre. C’est une licence poétique des chroniqueurs.
En tant qu’élément légendaire du cycle de Cendres, j’aime bien mes golems, et j’espère que vous me permettrez de les garder. Toutefois, si une emphase exagérée sur l’aspect « légendaire » du cycle doit affaiblir les *faits* historiques que je tire du Del Guiz, alors, pas d’hésitation, supprimons les golems de la version finale !
— Pierce Ratcliff
Message n° 6 (Pierce Ratcliff)
Sujet : Cendres,
documents
historiques
Date : 3/11/00 23 : 55
De : Longman@
Format, adresse et autres détails effacés et irrécupérables
Pierce –
Je serais incapable de reconnaître un engrenage à segments, même s’il me sautait à la figure ! Mais je suis prête à admettre que ces « golems » sont une légende médiévale basée sur je ne sais quelle réalité. Toute étude de l’histoire du point de vue des femmes, des Noirs ou de la classe ouvrière montre vite tout ce qu’on élimine des histoires conventionnelles. Pourquoi en irait-il différemment avec l’histoire de la mécanique ?
Mais je suppose qu’il serait plus sage de les supprimer. Ne mélangeons pas légende médiévale et réalité médiévale.
Une de mes assistantes a soulevé aujourd’hui un nouveau problème à propos des « Wisigoths ». Elle se demande comment, puisqu’il s’agit d’une tribu germanique qui s’est éteinte après l’Empire romain, ils peuvent encore exister en 1476 ?
Nouvelle question, de ma part – je ne suis pas spécialiste de l’Antiquité, mais est-ce qu’il ne me semble pas que Carthage avait été *anéantie* à l’époque romaine ? Votre manuscrit en parle comme si elle existait encore. Mais il ne fait aucune mention des cultures ARABES d’Afrique du Nord. Est-ce que vous allez clarifier tout ça ? Rapidement ? S’IL VOUS PLAÎT ?!
— Anna
Message n° 3 (Anna Longman)
Objet : Cendres, théorie
Date : 4/11/00 09 : 02
De : Ratcliff@
Format, adresse et autres détails effacés et irrécupérables
Anna –
Je ne me rendais pas compte que les directeurs littéraires avaient des horaires de travail aussi extravagants. J’espère que vous ne vous surmenez pas. :)
Vous me demandez d’exposer ma théorie – très bien. Nous ne pouvons probablement pas avancer dans nos relations de travail sans cela. Je vous demande un peu de patience, le temps que je vous expose un peu le contexte nécessaire :
C’est vrai, l’arrivée de ceux que la VIE appelle les ambassadeurs « gothiques » semble poser problème. Je crois toutefois l’avoir résolu ; et, comme vous le laissez entendre, cela joue un rôle décisif dans ma réinterprétation de l’histoire européenne.
Si la présence des ambassadeurs à la cour de Frédéric est attestée par des mentions à la fois dans la CHRONIQUE DE BOURGOGNE et dans la correspondance entre Philippe de Commines et le roi de France, Louis XI, j’ai au départ eu du mal à comprendre d’où pouvaient venir ces « Goths » (ou, selon la traduction plus précise de Charles Mallory Maximillian, que je préfère, des « Wisigoths », ou « nobles Goths »).
Les tribus barbares gothiques germaniques ne se sont pas véritablement « éteintes », comme le suggère votre assistante ; elles ont en fait été absorbées dans le creuset ethnique des régions où elles se sont installées après la chute de Rome. Les Ostrogoths en Italie, par exemple ; les Burgondes dans la vallée du Rhône, donnant leur nom à la Bourgogne, et les Wisigoths en Ibérie (Espagne). Ils ont continué à gouverner ces territoires ; pendant des siècles, dans certains cas.
Maximillian suggère donc que ces ambassadeurs « wisigoths » sont espagnols. Ça ne me satisfaisait pas complètement. CMM explique qu’à partir du VIIIe siècle, l’Espagne se scinde en une aristocratie chevaleresque wisigothe chrétienne, et les dynasties arabes qui découlent de leur propre invasion de 711. Tant les musulmans, inférieurs en nombre, que les classes aristocratiques wisigothes dominaient une grande masse de paysannerie ibère et maure. Par conséquent, estime Maximillian, puisqu’il restait des « Wisigoths » de ce genre jusque vers la fin du XVe siècle, on aurait également pu avoir des rumeurs médiévales voulant que, soit ces Wisigoths chrétiens, soit les « Sarrasins païens » (musulmans) aient conservé des « engins et inventions » de technologie romaine.
En fait, ce sera seulement quinze ans après la mort de Cendres que les derniers Arabes musulmans seront définitivement chassés de la péninsule ibérique, par la « Reconquista » (1488-1492). On *pourrait* par conséquent supposer que les ambassadeurs wisigoths à la cour de l’empereur Frédéric viennent d’Ibérie.
Toutefois, j’ai trouvé très surprenant, pour ma part, que les textes CENDRES affirment d’emblée qu’ils viennent d’une colonie qui devait se trouver sur la côte d’Afrique du Nord. (D’autant plus étonnant que ce ne sont visiblement pas des Arabes !)
En 1939, Vaughan Davies, l’auteur de la 2e édition des documents CENDRES, ne basant SA théorie sur rien d’autre, ou presque, que l’appellation de « Francs » donnée aux Européens du Nord dans le texte, traite les Wisigoths comme les classiques chevaliers sarrasins des légendes arthuriennes – les « Sarrasins » correspondent à la notion que l’Europe médiévale se fait des civilisations arabes, mélangée à des réminiscences populaires des croisades en Terre sainte.
Je ne trouve pas que Davies traite ce problème de façon très rigoureuse.
Maintenant, nous ajoutons l’autre problème – Carthage ! La Carthage d’origine, en Afrique du Nord, une colonie phénicienne, a bel et bien été éradiquée, comme vous le signalez. Les Romains ont rebâti une ville sur le site.
La chose intéressante, c’est qu’une fois le dernier empereur romain déposé (en 476 après J. – C.), ce sont les Vandales qui sont arrivés, pour dominer l’Afrique du Nord romaine – les Vandales étant, comme les Wisigoths, une tribu germanique gothique.
Ils sont arrivés en constituant une petite élite militaire, afin de dominer et de savourer les fruits de ce grand Empire africain, sous leur premier roi, Geiséric. Bien que demeurant quelque peu « germanisé », Geiséric fit venir des prêtres arianistes, déclara le latin langue officielle et bâtit de nouveaux thermes romains. La Carthage vandale devint un grand centre naval, Geiséric ne contrôlant pas seulement la Méditerranée, mais à un moment allant jusqu’à mettre à sac Rome elle-même !
Vous voyez donc que nous avons déjà un genre de « Tunisie gothique ». Le dernier roi (usurpateur), Gélimer, perdit l’Afrique vandale en trois mois face à l’Empire byzantin, en 530 après J. – C. (et les dernières chroniques rapportent qu’il alla jouir de quelques vastes propriétés byzantines). Les chrétiens byzantins furent en leur temps chassés par les royaumes berbères environnants, et l’Islam (principalement grâce à l’utilisation militaire du chameau), dans les années 630. Toute trace des Goths fut dès lors éradiquée de la civilisation mauresque ; il n’en survit même pas des mots occasionnels dans leur langue.
Demandez-vous où aurait pu survivre une civilisation gothique germanique après 630 après J. – C. ?
En Ibérie, près de l’Afrique du Nord, *avec les Wisigoths*.
Comme vous le savez, j’estime que tout le champ des études universitaires sur l’histoire de l’Europe du Nord va devoir être révisé, quand mon CENDRES sera publié.
Succinctement : j’ai l’intention de prouver qu’une colonie wisigothe a existé sur la côte d’Afrique du Nord jusqu’au XVe siècle.
Que leur « recolonisation » s’est déroulée bien après l’Afrique du Nord vandale, après la fin du bas Moyen Âge ; et qu’ils ont connu une période d’essor militaire au cours du XVe siècle.
J’ai l’intention de prouver qu’en 1476 après J. – C. existait réellement, historiquement, une colonie médiévale, peuplée par les survivants des tribus wisigothes romaines – sans « golems », ni légende sur des « crépuscules ».
Je crois qu’elle a été colonisée par une incursion de descendants ibères des Wisigoths venus des États espagnols « taifa » (mêlés/limitrophes). On peut raisonnablement le penser, d’après le type racial décrit ici. Le texte Fraxinus baptise la colonie « Carthage », et elle pouvait effectivement se situer à proximité du site d’origine des Carthage phénicienne, romaine ou vandale.
Je crois que cette colonie gothique, en se fondant avec la civilisation arabe (les manuscrits Del Guiz et Angelotti font usage de nombre de termes militaires arabes), a abouti à un résultat unique. Et je crois que la controverse naît moins de l’existence de cette colonie, que (disons) de ce qu’a accompli cette civilisation, et de la contribution qu’elle a apportée à la civilisation dans laquelle nous vivons actuellement.
Il y aura une Préface, ou une Postface, peut-être, décrivant in extenso les implications, pour accompagner les documents CENDRES ; pour l’heure, elle n’est pas terminée.
Je suis désolé de rester aussi évasif sur les implications à ce stade. Anna, je n’ai pas envie de voir quelqu’un d’autre publier avant moi. Il y a des jours où je doute que personne n’ait lu le manuscrit « Fraxinus » avant que je ne le trouve – et je fais des cauchemars dans lesquels j’ouvre le GUARDIANA pour y trouver la critique d’une nouvelle traduction par un autre. Pour le moment, je préférerais ne pas exposer toute ma théorie sur des médias électroniques, où l’on risque de la télécharger. En fait, tant que je n’aurai pas terminé toute la traduction, achevée jusqu’au dernier mot, et que la Postface ne sera pas à l’état de premier jet, j’éprouve de la réticence à en discuter, d’un point de vue éditorial.
Soyez patiente, je vous en prie. Il faut que tout ceci soit rigoureux et imparable, sinon je serai discrédité sous les risées – du moins, par la communauté universitaire.
Pour le moment, voici ma première tentative pour vous transmettre un texte traduit : la section 2 de la VIE de Del Guiz.
Message n° 12
(Pierce Ratcliff)
Sujet : Cendres,
Théorie historique
Date : 4/11/00 14 : 19
De : Longman@
Format, adresse et autres détails effacés et irrécupérables
— Pierce
Les Vandales, d’accord. Mais je ne trouve pas la *moindre* allusion dans mes ouvrages sur l’histoire européenne et arabe, où que je puisse chercher –
*QUELS « Wisigoths » d’Afrique du Nord ? *
Êtes-vous sûr de ne pas vous égarer ?
Je me dois d’être franche et de vous dire que nous ne tenons pas à voir une controverse mettre en doute le sérieux de ce livre. *Par pitié*, rassurez-moi sur ce compte. Aujourd’hui, si possible !
Message n° 19
(Anna Longman)
Sujet : Cendres,
théorie historique
Date : 4/11/00 18 : 37
De : Ratcliff@
Format, adresse et autres détails effacés et irrécupérables
Anna –
Au début, j’ai ressenti exactement les mêmes doutes que vous. Les Vandales eux-mêmes, au XVe siècle, avaient disparu depuis neuf siècles d’une Tunisie totalement islamisée.
Voyez-vous, j’ai commencé par croire que la réponse se trouvait dans la mentalité médiévale – laissez-moi vous expliquer. Pour eux, l’histoire n’est pas une progression, une séquence d’événements qui s’enchaînent dans un ordre particulier. Les artistes du XVe siècle qui enluminaient les chroniques des croisades habillaient leurs chevaliers du XIIe siècle de tenues du XVe. Thomas Mallory, en écrivant son Roman du roi Arthur dans les années 1460, revêt ses chevaliers du VIe siècle des armures de son époque, la guerre des Deux-Roses, et ils s’expriment comme parlent les chevaliers dans les années 1460. L’Histoire, c’est « maintenant ». L’Histoire est un exemplaire moral de l’instant présent.
L’« instant présent », pour les documents Cendres, ce sont les années 1470.
Au départ, par conséquent, j’ai pensé que les « Wisigoths » auxquels les textes faisaient référence étaient, en réalité, des Turcs.
On imagine mal, de nos jours, combien les royaumes d’Europe ont été terrorisés lorsque l’immense Empire ottoman (les Turcs, par conséquent !) a assiégé et pris Constantinople (1453 après J. – C.), la « cité très chrétienne ». Pour eux, c’était littéralement la fin du monde. Pendant deux cents ans, jusqu’à ce que les Ottomans soient enfin repoussés aux portes de Vienne dans les années 1600, l’Europe vit dans la terreur absolue d’une invasion venue de l’Est – c’est leur période de guerre froide.
Ce que j’ai d’abord pensé, en conséquence, c’est qu’il n’était guère surprenant que les chroniqueurs de Cendres aient décidé qu’elle avait *forcément* (simplement parce que c’était un chef militaire célèbre) joué un rôle pour tenir les Turcs à distance d’une Europe sans défense. Ni que, redoutant l’Empire ottoman comme ils le faisaient, ils aient camouflé son identité sous un nom d’emprunt, d’où le terme « Wisigoths ».
Bien entendu, comme vous le savez, j’ai dû par la suite réviser cette hypothèse.
— Pierce Ratcliff, Dr en Ph.
Message n° 14
(Pierce Ratcliff)
Objet : Cendres
Date : 5/11/00 08 : 43
De : Longman@
Format, adresse et autres détails effacés et irrécupérables
Pierce –
Je me vois mal expliquer à mon directeur de publication, sans même parler des représentants et du marketing, que les Wisigoths sont en réalité des Turcs, et que toute l’histoire est une accumulation de mensonges !
Message n° 20
(Anna Longman)
Objet : Cendres
Date : 5/11/00 09 : 18
De : Ratcliff@
Format, adresse et autres détails effacés et irrécupérables
Anna –
Non, non, ce ne sont PAS des Turcs ! Je l’avais simplement cru. Je me TROMPAIS !
Ma théorie postule une enclave wisigothe au XVe siècle sur la côte nord-africaine. Je veux justement *démontrer* que les universitaires ont balayé sous le tapis les preuves de la chose.
Cela arrive – cela arrive souvent, en Histoire. Et non seulement on efface délibérément de l’Histoire événements et personnages, comme sous le stalinisme, mais ils semblent presque échapper aux regards quand l’esprit de l’époque leur est défavorable – je pourrais citer en exemple le cas de Cendres elle-même. Comme la plupart des femmes qui ont pris les armes, elle disparaît des manuels d’histoire dans les périodes patriarcales, et, dans des époques plus tolérantes, a tendance à apparaître simplement comme un fantoche, qui n’a pas participé aux tueries proprement dites. Mais après tout, c’est le cas de Jeanne d’Arc, Jeanne de Montfort, Aliénor d’Aquitaine et des centaines d’autres femmes qui, faute d’un rang social élevé, furent tout simplement ignorées.
À plusieurs occasions, j’ai été fasciné à la fois par le PROCESSUS de ce phénomène – cf. ma thèse – et par les DÉTAILS de ce qu’on élimine des chroniques. Sans le CENDRES de Charles Mallory Maximillian (offert par une arrière-grand-mère qui, je crois, l’avait remporté comme prix d’excellence à l’école en 1892), je n’aurais sans doute pas passé vingt ans à explorer l’histoire « perdue ». Et maintenant, je l’ai retrouvée. J’ai découvert un fragment « perdu » suffisamment significatif pour établir ma réputation.
Tout cela, je le dois à « Fraxinus ». Plus je l’étudie, et plus j’estime que sa provenance auprès de la famille Wade (le coffre dans lequel on l’a retrouvé, soi-disant rapporté d’un monastère andalou, lors d’un pèlerinage) est authentique. Les provinces espagnoles médiévales sont complexes, lointaines et fascinantes ; et s’il devait y avoir eu des survivances wisigothes – par-dessus et au-delà des lignées descendant par le sang de ces barbares de l’époque romaine au sein des classes dirigeantes ibériques –, c’est ici que nous pourrions espérer en trouver une description : dans des manuscrits médiévaux peu connus.
Naturellement, les manuscrits CENDRES contiennent des exagérations et des erreurs – mais ils renferment une histoire cohérente et vraie POUR L’ESSENTIEL. Il a existé au moins une cité wisigothe sur les côtes d’Afrique du Nord, et peut-être une hégémonie militaire qui l’accompagnait !
— Pierce
Message n° 18
(Pierce Ratcliff)
Sujet : Cendres,
théorie
Date : 5/11/00 16 : 21
De : Longman@
Format, adresse et autres détails effacés et irrécupérables
Pierce –
Bon.
ADMETTONS.
Comment quelque chose d’aussi énorme pourrait-il simplement DISPARAÎTRE de l’Histoire ???
— Anna
Message n° 21 (Anna Longman)
Sujet : Cendres
Date : 6/11/00 04 : 07
De : Ratcliff@
Format, adresse et autres détails effacés et irrécupérables
Anna –
Mes excuses pour le répondeur téléphonique. J’avais laissé la ligne branchée sur le fax. Je tiens à vous rassurer, mais voyez-vous, le problème, c’est que disparaître de l’Histoire est FACILE. La BOURGOGNE y réussit, bon sang. Elle est là, en 1476, la plus riche nation d’Europe, la plus civilisée, la mieux organisée sur le plan militaire – et en janvier 1477, leur duc se fait tuer, et Charles Mallory Maximillian avait raison : ON N’A PLUS JAMAIS RIEN ÉCRIT SUR LA BOURGOGNE DEPUIS.
Bon, d’accord, ce n’est pas absolument vrai. Mais l’idée que la plupart des gens cultivés se font de l’histoire européenne, c’est que l’Europe du Nord-Ouest se compose de la France et de l’Allemagne, et ce, depuis la chute de l’Empire romain. Bourgogne, c’est un nom de vignoble.
Vous voyez, ce que je veux dire, c’est que…
En fait, il a fallu une génération pour que la Bourgogne disparaisse totalement. Marie, la fille unique de Charles, épousa Maximilien d’Autriche, et ils sont devenus les Habsbourg austro-hongrois, qui durent jusqu’à la Première Guerre mondiale, mais ce que je voulais ÉTABLIR, c’est que quand on ne sait pas que la Bourgogne était une grande puissance européenne et que nous sommes passés à UN CHEVEU de connaître cinq cents ans de Bourgogne, plutôt que de France – eh bien, quand on ne le sait pas, on ne peut l’apprendre nulle part. On dirait que tout le pays a été OUBLIÉ dès l’instant où Charles le Téméraire périt sur le champ de bataille de Nancy.
Personne n’a jamais expliqué ça de façon satisfaisante ! Il y a des choses qui n’entrent pas dans l’Histoire.
Je crois qu’il est arrivé quelque chose de semblable à la colonie « wisigothe ».
Je suis en train de délirer à mon clavier au petit matin, vous allez me prendre pour un idiot.
Je vous prie de m’excuser. Je suis éreinté. J’ai retenu une place d’avion, à Heathrow, je n’ai qu’une heure pour boucler mes valises, le taxi devrait arriver d’une seconde à l’autre, et voilà que je décide de vérifier mon téléphone, et je trouve votre dernier message.
Anna, il est arrivé quelque chose d’absolument ahurissant, de fabuleux ! Une collègue à moi, le Pr Isobel Napier-Grant, m’a téléphoné. Elle dirige des fouilles en dehors de Tunis – le GUARDIAN a publié des articles sur leurs dernières découvertes, vous avez peut-être vu ça – et elle a découvert un objet qui serait peut-être un des « marcheurs d’argile » du texte Del Guiz !
Elle pense que ça *aurait pu être* un véritable spécimen de technologie *mobile* !!! – peut-être médiéval – post-romain – ou c’est peut-être une totale sottise, une invention bizarre ou une supercherie remontant à l’époque victorienne, enfouie sous terre depuis une centaine d’années seulement.
Tunis, bien entendu, est située à proximité des ruines historiques de la Carthage romaine.
Le taxi est là. Si cette saleté fonctionne, je vous ai transmis la tranche suivante de la traduction de Cendres. Téléphonerai dès retour de Tunisie.
Anna – si les golems sont vrais – qu’est-ce qui peut l’être aussi ?